LE CHATEAU DE TOURNEBOIS

Textes et images fournis par Michel FROMAGET

Présentation

Au XIIIe siécle, ce château appartenait au chevalier Raymond Guillaume de Tournebois qui participa, en 1242, au fameux massacre des inquisiteurs à Avignonet et fit ensuite partie de la garnison de Montségur, où il reçut le Consolamentum le 10 mars 1244 des mains de l’évêque hérétique Bertrand d’En Marti, avant de mourir brulé vif sur le grand bûcher du 16 mars 1244.

L’Armorial général de France de 1696 de Charles d’Hozier apprend que le blason des Tournebois portait en ces temps maintenant lointains : « Fascé, contrefascé d’or et de sinople, de six pièces ».

Ce château, passé ensuite aux mains des compagnons de Simon de Montfort, fut au XVIIIe siècle la propriété des Seigneurs de Montfaucon. Ses ruines nostalgiques, contiguës à une petite église romane, s’élèvent au fond d’une vallée isolée couverte de bois. Une tradition orale ancienne, mais toujours vivante, et confirmée récemment affirme l’existence de souterrains accessibles depuis les ruines.

Histoire de l’Eglise et du Château de Tournebois

1- Les origines

Les ruines du château et de l’église de Tournebois se dressent sur une petite éminence rocheuse au-dessus du hameau du même nom, environnées de bois, de taillis et de landes. Construits sur la pente du versant nord de la première vallée de quelque importance adjacente à la vallée de la rivière Corneilla – laquelle va grossir l’Aude à l’entrée sud de Limoux – cette église et ce château sont situés dans le hameau de Tournebouix sur la commune de Bourigeole, distante d’une quinzaine de kilomètres de la ville de Limoux.

Si le hameau de Tournebouix ne dénombre aujourd’hui guère plus d’une dizaine d’habitants, il n’en a pas toujours été ainsi. Ce hameau était, sous l’Ancien Régime, le siège d’une véritable paroisse; il a d’ailleurs conservé son presbytère (aujourd’hui en ruines). En 1750, Tournebois ne comptait pas moins de 150 âmes (1). Nous savons même qu’à cette époque la justice s’y administrait encore et qu’elle y disposait de plusieurs prisons(2). D’autre part, Fédié, dans son bel ouvrage sur le Comté de Razès(3) affirme qu’autrefois Tournebois fut, en des temps anciens, le siège d’un prieuré. Il est parfaitement présumable que l’église actuelle ait pu être effectivement celle de ce prieuré lequel aurait été situé sur le lieu même des ruines de l’ancien château. Mais d’après Fédié, ce prieuré, quelques temps après la fin de la période cathare, aurait été transformé en manoir seigneurial – sans doute vers le XIVe siècle – époque où le village et les terres attenantes furent érigés en fief.

Quoiqu’il en soit de la période exacte de cette érection, et depuis plusieurs siècles déjà, le hameau de Tournebouix, qui alors était un village, était bel et bien protégé par un château. La fonction de celui-ci ne s’arrêtait sans doute pas là et on peut penser que son rôle premier était de garder le chemin, dit, comme tant d’autres, de « Saint Jacques de Compostelle », passant non loin de là, sur la crête séparant la vallée de Tournebouix de celle de Saint-Couat du Razès. Sans grand risque, on peut tenir les ruines actuelles – qui sont contiguës à l’église – comme s’élevant sur la place même du château ancien. L’existence de celui-ci remonte fort loin. En effet, sa présence est déjà présumable dès 1095, date à laquelle on voit apparaître un premier Seigneur de « Tornabox » figurant lors de la remise ordinaire du serment de fidélité rendu au vicomte de Carcasonne. Ce qui n’empêcha d’ailleurs pas le Seigneur de « Tornabois » – le même, ou un autre – de prêter main forte, en 1124, à une rébellion dirigée contre Bernard Aton, vicomte de Carcassonne. Quoiqu’il en soit de telles querelles, l’existence du château est certaine dès 1130, année où le « castel de Tornabox » figure nommément dans les hommages rendus à Cécile, veuve du même Bernard Aton(4).
Le château de Tournebois (ou : Tornabox (1130), Tornabois (1134), Turnabussum (1234), Tornabuxum (1302), Tournaboix (1401), Tournebois (1571), Tourneboys (1594), Tourneboix (1647)… suivant les écritures relevées par Sabarthes) est donc très ancien.

L’église qui lui est attenante – placée sous le vocable de saint Nicolas – est-elle aussi vieille ? Aucun document en notre possession ne permet en tout cas de l’affirmer avec certitude. Qu’elle ait pu être, en des temps reculés, le chapelle du château, cela, quoique peu probable, demeure possible. On connaît des châteaux de la moitié sud de la France pour avoir des chapelles hors d’enceinte. Celui de Commarque, en Périgord, en est un exemple. Qu’elle ait été la chapelle du prieuré dont parle Fédié cela est, nous l’avons dit, vraisemblable. Mais il est certain que, dès que nous commençons à entendre parler de l’église de Tournebois, c’est toujours en tant qu’église paroissiale. A ce propos, il est intéressant de remarquer que l’encastrement de l’assise des fonts baptismaux – en entrant à gauche dans l’église – paraît dater de la construction primitive.

2- L’histoire cathare

Aux XIIe-XIIIe siècles, l’église dépendait du diocèse catholique d’Alet. Le château, pour sa part, faisait partie du fief de Mirepoix, inscrit dans la vicomté de Carcassonne. Mais au temps de l’hérésie Cathare, les habitants de Tournebois relevaient simultanément du diocèse cathare du Razès, dont l’évêque fut le grand Benoit de Termes. L’érection de ce diocèse, décidée au concile de Pieusse, date de 1225, période où l’hérésie albigeoise connut dans l’Aude et l’Ariège un très fort regain. Alors que nous étudions l’histoire de Tournebois, nous ne pouvons évoquer l’hérésie cathare sans marquer un temps particulier de considération. Car les habitants de Tournebois furent, sans aucun doute, des cathares convaincus. Certains laissèrent même un nom dans l’histoire du catharisme. Tels sont le Chevalier Raymond Guillaume (Guilhem) de Tornabois et W. Tornabois, son frère. Nous savons de source sûre que ces hommes prêtèrent une main efficace aux fameux massacre des inquisiteurs, à Avignonet, en mai 1242(5). Nous savons aussi qu’ils firent partie de la garnison de Montségur, dans les années 1242-1243, et qu’ils participèrent en décembre 1243 aux furieux combats qui se déroulèrent aux pieds du Trébuchet que l’évêque d’Albi avait fait installer au sommet du pog de Montségur(6).

La foi cathare du chevalier Raymond Guillaume de Tournebois – sans doute aussi celle de son frère – était assurément sans faille, puisqu’il demanda à recevoir le Consolamentum – le baptême spirituel des cathares – le 10 mars 1244. Par ce sacrement, qu’il reçut des mains de Bertrand d’En Marti, évêque de Montségur, Raylmond Guillaume passait du stade de simple croyant à celui de « Parfait ». Demander une telle ordination le 10 mars 1244 équivalait alors, sans échappatoire aucune, à accepter de mourir brûlé vif la semaine suivante. La date du bûcher, le 16 mars 1244, était en effet déjà retenue depuis plusieurs jours. Quelles que puissent être les convictions religieuses de chacun, un tel geste commande une profonde admiration. Et cette fin si atroce – librement demandée et accepée par R.G. de Tournebois – fut réellement la sienne. De fait, nous apprenons de la bouche d’un témoin de première importance, Pierre Roger de Mirepoix – commandant de la garde de Montségur, – que Raymond Guillaume mourut effectivement brûlé vif : « Qui modo est combustus » pour reprendre les termes précis de la déposition(7). Cette fin est certaine : Pierre Roger connaissait très bien Raymond Guillaume de Tournebois pour avoir combattu pendant des années à ses côtés. Dans la liste des trente personnes identifiées dont nous sommes parfaitement assurés qu’elles périrent dans les flammes du bûcher de Montségur, F. Niel fait figurer le nom de Raymond Guillaume de Tournabois en toute première place(8).Le nom de Bertrand d’En Marti, bien sûr, est aussi inscrit sur cette liste. Quant au frère de Raymond Guillaume nous ne savons pas s’il périt sur le bûcher. Cela demeure probable, mais il est vrai que sa présence à Montségur paraît avoir été intermittente, ainsi que semblent le suggérer les auditions de témoins de l’histoire des derniers temps de Montségur, tels Guilhem de Plaigne, Arpaïs de Ravat, Alzeu de Massabrac(9).

3- Les siècles suivants

Mais revenons sur le lieu même de Tournebois, pour noter une particularité que la modestie des ruines actuelles du château ne laisse guère prévoir et qui permet, cependant, de comprendre certaines caractéristiques architecturales et ornementales de l’église. Je veux dire qu’au fil des siècles suivants, le château de Tournebois fut la propriété et le lieu d’habitation, de personnages ou de familles considérables par leurs richesses et leur renommée.

De 1210, date à laquelle le château de Tournebois tombe dans l’escarcelle de Lambert de Thury, Seigneur de l’Ile-de-France, compagnon de Simon de Montfort, à 1575, année où il fut pris par les Huguenots(10), nous connaissons le nom d’une dizaine de propriétaires du château. Pourtant, ces noms ne nous apprennent pas grand chose. Et nous ne savons même pas si leurs détenteurs demeurèrent jamais à Tournebois, si tant est qu’ils y vinrent seulement une fois. Mais il n’en va pas identiquement par la suite. Je me limiterai à citer deux cas, particulièrement évocateurs pour ceux qui connaissent l’histoire du pays.

Le premier est celui de Jean de Pressoires, Seigneur de Tournebouys, dont Casimir Pont, dit dans son Histoire de la terre privilégiée, qu’il fut « le plus riche et le plus puissant des seigneurs de nos contrées à la fin du XVIe siècle »(11). Le même auteur évoque, plus loin, en toutes lettres, « la magnificence des Seigneurs de Tournebouys », magnificence dont certains témoignages restèrent, dit-il, visibles jusqu’à la veille de la Révolution(12). Pouvons-nous considérer le vaste et splendide château de Puivert comme un de ces témoignages ? Un tel éclairage pourra être contesté, mais il n’en demeure pas moins que la fortune de Jean de Pressoires lui permit de l’acheter en 1608(13). En ces temps, le blason de Tournebois était : « Fascé, contrefascé d’or et de sinople de six pièces » (Charles d’Hozier).
Nous ne dirons rien du Seigneur Pierre de Rességuier, Seigneur de Tournebois au XVIIe siècle, personnage pittoresque et truculent, excommunié par l’évêque d’Alet, Nicolas Pavillon, pour abus extraordinaire de son droit de cuissage sur les femmes de la vallée(14). Omission peu dommageable qui nous permet, sans plus tarder, d’évoquer la célèbre famille de Montfaucon.

4- Arnaud Montfaucon de Villars, et le Comte de Gabalis

D’après la Notice inédite des archives de Carcassonne, rédigée par Fonds-Lamothe, les Montfaucon acquérirent le château de Tournebois aux alentours de 1650. Peu de temps auparavant naissait au château du Villa – ou du Villars – à peine distant de cinq kilomètres de Tournebois, cet étrange et inquiétant personnage, connu sous le nom d’abbé Arnaud Nicolas Montfaucon de Villars, auteur de l’ouvrage : Le Comte de Galabis ou entretiens sur les Sciences secrètes(15).
Né en 1635, neveu du grand Dom Bernard de Montfaucon, auteur de L’Antiquité expliquée, Nicolas, alors qu’il était déjà prêtre depuis quelques temps, se fait remarquer par des mœurs particulièrement libertines. Puis, peu après, le voici convaincu d’avoir trempé dans l’assassinat crapuleux d’un de ses oncles, habitant de Montgaillard, petit hameau à trois vallées de Tournebois. Condamné, en 1662, à être « roué vif pour crime d’assassinat, meutre et incendie… »(16), il paraît échapper à sa condamnation. C’est alors qu’il publie – vers 1670 – son célèbre Comte de Gabalis, ouvrage fort curieux où l’auteur, reprenant une thèse du grand alchimiste Paracelse, défend que c’est un acte tout spécialement chrétien et charitable que de faire l’amour avec les ondines, les elfes et les fées. Le lieu n’est pas bien sûr d’entrer ici dans le détail de l’argumentation. Mais il faut croire qu’elle était d’un tel prix, et si secrète, aux yeux des occultistes, des mages, des sorciers et des « entités invisibles » de l’époque, que… l’on retrouva, un jour de mars 1675, l’infortuné Nicolas Montfaucon bel et bien assassiné sur la route de Lyon. Certains firent courir le bruit qu’il avait été tué par les génies des éléments eux-mêmes. Telle était l’opinion de Stanislas de Guaïta, l’inquiétant ami de Barrès, auteur des fameux Essais de sciences maudites.

Où Nicolas de Montfaucon rédigea-t-il son ouvrage sur les êtres invisibles ? Au château du Villar où il était né, dans celui de Roquetaillade, non loin de Bourigeole, château qui appartenait déjà à la famille, ou bien dans le château de Tournebois récemment acquis ? Il est assuré que nous ne le saurons jamais, mais je crois volontiers, pour bien connaître et le livre et les lieux, que le Comte de Gabalis n’est pas totalement étranger à l’esprit des bois et forêts de la vallée de Tournebois, non plus qu’à celui des bois et forêts des vallées de Festes et de Saint Couat, vallées qui encadrent immédiatement la première. Les traditions populaires locales s’accordent d’ailleurs pour affirmer la présence de génies, de dryades, d’ondines, de fées… au fin fond de ces sylves, ou sur les bords des ruisseaux qui les parcourent. Ainsi par exemple, peut-on visiter, non loin de Festes, la « grotte de Los Encatados », « la grotte des fées », qui s’ouvre sous une chute d’eau. Et sans doute n’est-ce pas aussi sans raison, il faut le croire, que Saint Couat était appelé autrefois,- ainsi que le rappelle le chanoine Sabarthes- : « Saint-Couat-des-bréichés », c’est-à-dire : « Saint-Couat-des-Sorcières » ou « Saint-Couat-des-Fées »(17). Ceci sans parler des feux follets, et autres phénomènes mystérieux, qui troublaient, il y a peu encore, les domaines jouxtant la lisière occidentale du bois de Tournebois, non loin du cimetière et de la chapelle ruinée de Fontrouge(18).

Il n’est pas impossible que l’abbé Nicolas de Villars ait célébré des messes dans l’église de Tournebois. Cela est même très probable. Le Gloria et le Sanctus y étaient peut-être chantés, non pas par deux types de créatures – les anges et les hommes – comme dans les offices ordinaires, mais par trois : les hommes, les anges et les êtres intermédiaires : les elfes, les gnomes, les salamandres, les sylvains, les fées… !!!

5- Le château au XVIIIe siècle

Pour revenir à des considérations plus sûres, signalons que dès 1711, les actes concernant le château de Tournebois sont signés par François de Montfaucon(19). De même en 1725 et 1726(20). En 1735, enfin, le château est propriété de Marc Antoine et Claire de Montfaucon qui, frère et sœur, l’héritent de François de Montfaucon(21).
C’est en 1763 que Marc Antoine fait de sa sœur sa légataire universelle tout en laissant, par un acte du 22 Août 1763, jouissance à sa femme – « tant qu’elle ne se remariera pas » – d’une chambre au château de Tournebois, « chambre avec literie, lit, six chaises, une commode et une glace »(22).

La famille Cayrol du Payras, vieille famille qui remonte au XIe siècle, était très proche de celle des Montfaucon. On sait qu’en 1711, Barthélémy Cayrol épousa Françoise de Montfaucon, qui fut, peut-être, la tante de Claire. Celle-ci épousa aussi un Payras. Et n’ayant sans doute pas eu d’enfant, c’est à Marie Cayrol du Payra, sa nièce, ainsi qu’à son neveu, François Victor Cayrol, que Claire légua le château par un acte du 20 mars 1786. Plus tard, le château passera aux mains d’une famille apparentée : les Bataillé. François Victor Cayrol de Payra, ancien capitaine d’infanterie, était Chevalier de Saint-Louis. Il est très vraisemblablement le dernier noble à avoir été propriétaire du château. Ses armes étaient : « D’azur à une chèvre rampant d’argent, au chef d’argent, chargé de trois points d’hermine de sable ».

6- L’église: reliques et inscriptions

Aux XIe et XIIe siècles les seigneurs de Tournebouix étaient des personnages d’importance : nombre de documents signalent leur présence en 112, 1125, 1132, 1137… (23) parmi les proches des vicomtes de Carcassonne et de Béziers, ainsi que des comtes de Foix. Aux XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles, le château de Tournebouix était assurément habité par des familles riches et puissantes. C’est à cela, pensons-nous, que l’église de Tournebois doit une construction que l’on peut estimer trop soignée, pour être celle de la simple église d’une toute petite paroisse, qui certainement fut toujours très pauvre. Ce soin se voit d’abord au choix, à la taille et à l’appareil des pierres d’angle. De même en va-t-il des pierres des marches semi-circulaires du parvis, des pierres des piédroits et de l’archivolte en plein cintre. Le portail, de facture romane, donne à croire qu’une part au moins de l’église remonte au XIe siècle. Des ouvertures latérales, dont certaines joliment trilobées, sont plus récentes. Le soin et la qualité dont nous parlons se voit aussi à l’importance de la pierre de l’ancien autel. Cette pierre, d’une grande épaisseur, mesure plus de deux mètres, sur au moins un de large, et elle pèse certainement plus d’une tonne. Elle portait, enchâssée en son centre, une pierre de marbre gris frappée des cinq croix rituelles.

Au XVIIIe siècle l’église eut à subir des travaux de restauration(24). Le nouvel autel – maintenant saccagé – date sans doute de ce temps, époque où l’ancienne pierre du maître autel fut descendue à terre et disposée aux pieds du nouveau. A la suite d’actes récents de vandalisme, mais aussi par chance, le sachet à reliques enfermé dans une petite bulle en plâtre et son sigillum ont pu être retrouvés et restaurés. La facture du dessin central du sceau donne à croire qu’il pourrait dater des XIIIe – XIVe siècles. Mais les inscriptions périphériques inciteraient, quant à elles, à penser que ce sigillum est en réalité beaucoup plus ancien(25). Quoiqu’il en soit, la découverte de cet objet constitue un fait particulièrement remarquable, peut-être même exceptionnel, à en croire le docteur Lemoine qui a eu la gentillesse d’étudier cette pièce(26). Les fonts baptismaux, leur colonne, et leur socle, constituent aussi un bel ensemble. La présence de ces fonts dans cette petite église isolée s’explique donc par le fait que Tournebois était une paroisse, non un simple hameau. Cette paroisse, ainsi que le suggérent certains documents, a pu être à certaines époques couplée avec celle de Saint Couat, village de la vallée avoisinante, à peine distant de deux kilomètres de Tournebois. Cette habitude de jumelage paraît fort ancienne. Ainsi peut-on lire sur une magnifique pierre sculptée de caractères gothiques, pierre venant très certainement de l’église de Tournebouis et qui est actuellement encastrée au-dessus du portail de l’église de Bourigeole, l’inscription: « Mosen Anthoni Viguier Rictor de Sanct Cogat, de Tornabois et… ». Soit : « Monsieur Antoine Viguier, Recteur de Saint Couat, Tournebois et… ».

S’il arriva donc, qu’au Moyen-Age, Tournebois et Saint Couat furent placés sous la responsabilité d’un unique prêtre – ce que dit l’inscription précédente – cette situation doit cependant être tenue pour passagère. Les deux villages ont en effet chacun un presbytère, et les documents ne manquent pas pour signaler la présence d’un prêtre à Saint Couat et d’un autre à Tournebois(27).

Quelle était la destination de la pierre sculptée signalée ci-dessus ? Elle est très belle. Au-dessus de l’inscription citée, dans un cartouche rectangulaire, profondément gravé, figure un soleil à seize rayons linéaires et ondulés alternés. Ce soleil porte le monogramme IHS, surmonté d’une croix, et sommant un alpha et un oméga entrelacés. Il est entouré de deux anges. Qu’il faille considérer cette image comme un symbole de l’Ascension, ou de la Résurrection, son sens demeure le même. Et ceci même si on admet, comme certains, que cette pierre est la partie haute d’une stèle funéraire sciée en dessous de la seconde ligne du texte. C’est là, bien sûr, une hypothèse, mais quelques arguments militent en sa faveur. Alors qu’elle sert actuellement de « tympan » à l’église de Bourigeole, nous avons tout lieu de croire, nous l’avons dit, que cette pierre appartenait autrefois à l’église de « Tornabois ».

Pour trouver d’autres fragments d’écritures anciennes en provenance de ces lieux, il faut se rendre dans le hall de la Mairie de Bourigeole où est exposée la seule cloche restante de l’église de Tournebouis (l’autre ayant disparu dans des circonstances mal élucidées). Sur cette cloche, on peut lire l’inscription suivante:

« Benedictum sit Nominum Domini,
Sancta Maria, Sancta Clara orate pro nobis,
Ex dono Clarae de Montfaucon 1779.
Iiagus Içoli M.F.
Parein Louis Giber Cure.
 »

Cette cloche a donc été offerte en 1779 par la dernière héritière Montfaucon à avoir possédé le château de Tournebois. Nous avons déjà rencontré plusieurs fois Claire de Montfaucon. Elle demanda, en 1786, à être enterrée dans le minuscule cimetière qui est à la porte de l’église et jouxte les pieds de l’enceinte du château. Elle décéda le 19 janvier 1789, à l’âge de 82 ans, au château(28). Il ne nous a pas été possible de retrouver sa tombe. Celle-ci, peut-être, fut plus tard relevée.

Notons que Claire dans la dédicace gravée sur la cloche n’invoque pas saint Nicolas (29) qui est pourtant le saint patron de l’église de Tournebois… Elle n’oublie pas, par contre, sa sainte patronne, la grande amie de saint François d’Assise. Quant à l’invocation à Marie, dont le pied foule éternellement l’Antique Serpent de l’Apocalypse, elle est de rigueur pour qui sait qu’une fonction première des sons propagés par une cloche bénite est justement de faire fuir les démons aux quatre coins de l’horizon. Claire se souvint peut-être aussi de la propension spéciale de son parent l‘abbé Nicolas Montfaucon à attirer les génies dans tous les lieux où il passait !

7- Un site propice aux travaux d’archives et aux recherches de terrain

De nombreux témoignages montrent ainsi que l’église et le château de Tournebois ont réellement une histoire. Histoire pathétique et dramatique : le « parfait » Raymond Guillaume de Tournebois se jeta dans les flammes. Histoire fastueuse : la vie des Pressoires de Tournebois fut véritablement somptuaire. Histoire salace et violente : pensons à P. de Résséguier, violant les filles de sa seigneurie et rossant, suivant sa belle habitude, les pères, maris et amants récalcitrants. Histoire étrange et inquiétante : imaginons l’énigmatique abbé Nicolas Arnaud Montfaucon de Villars appelant, à l’aide d’incantations appropriées, les « Encantados », les gnommes et les entités non-baptisées des forêts de Tournebois. Histoire mystérieuse aussi : je n’ai en effet pas parlé des différents souterrains accréditées par les croyances populaires. Ces souterrains relieraient l’église au château et déboucheraient « dans la vallée », non loin du ruisseau de Bourigeole, après avoir rejoint d’autres souterrains, notamment ceux d’un autre château ruiné, le Casteillas, situé lui aussi sur la commune de Bourigeole (30). Une tradition encore vivante affirme que des vases précieux auraient été autrefois trouvés dans le souterrain partant du château. Je tiens du témoin qui me rapporta cette tradition, homme maintenant très âgé, qui habita au château de 1905 à 1920, que ce souterrain était encore accessible au début du siècle par l’intermédiaire d’un puits s’ouvrant dans le hall d’entrée, juste sous le grand escalier. L’emplacement de ce hall est encore visible au milieu des ruines, mais ce puits étant très dangereux pour les enfants le père du témoin préféra l’obturer vers 1915. Histoire émouvante enfin. Car je tiens du même témoin le récit que voici. Sa grand mère Eugénie, elle aussi habitante du château, morte à l’âge de 30 ans en 1882, avait demandé à être enterrée dans le petit cimetière de Tournebouix. Cimetière qui, comme nous le savons, flanque le mur d’enceinte du château. Cette femme laissait alors un petit garçon de quatre ans. Or, cet enfant, le père de mon témoin, ne comprenait pas pourquoi sa mère, qu’il chérissait beaucoup, ne revenait pas du cimetière en fin de journée. Et tous les soirs ce petit, pendant de long mois, monta sur le rempart, appelant à corps perdu sa mère dont la tombe se trouvait vingt mètres en contrebas.

Ce château et cette église ont une histoire. Cette histoire mérite d’être connue et elle demande d’être étudiée plus à fond. Dans leur cadre de crêtes et de vallons boisés, de ruisseaux et de petits torrents, de forêts et de landes gardées par les longues silhouettes de grands genévriers, les ruines du château et de l’église de Tournebouix sont là tel un souvenir de pierre rehaussé par le ciel, les champs, la terre, les bois et leurs frondaisons. Et ce souvenir incite le promeneur tant à la méditation des mystères du catholicisme, car il parle de Dieu, des fruits de la terre et du travail des hommes, qu’à celle des mystères du catharisme car, comme nous l’avons vu, il parle aussi, et si fort, de l’histoire cathare et de ses instants les plus tragiques. Ceci sans oublier les questions d’archéologie qu’il pose et qui n’ont toujours pas reçu de réponse. Car non seulement le puits et les souterrains restent à découvrir, mais encore sous les dalles de l’église, nombre de sépultures ont été trouvées et dans certaines, nombre d’objets d’intérêt ont été mis à jour(31). Tel est notamment le cas de pièces de monnaie retrouvées au centre de l’aire formée par les maxillaires inférieurs de quelques squelettes. Comme si certains défunts avaient été inhumés avec une obole dans la bouche, rituel tout à fait païen. Tel est aussi le cas d’armes : lames de couteau, pointes acérées, revolver. Mais aussi, et surtout, tel est le cas de cette extraordinaire boucle de ceinture en bronze doré, boucle figurant un aigle déployé dont les ailes sont continuées par deux avant-bras humains tenant un os. Il se dégage de cet objet une impression primitive et forte, quasi barbare. Pour les archéologues, cette boucle reste à l’heure présente une parfaite énigme(32) : romaine, gauloise, wisigothe, médiévale…?

Oui, vraiment, l’histoire et le site du château et de l’église de Tournebois méritent grandement qu’on s’y attache.

Notes

(1) – A.BAYROU, Le Fenouillèdes et le diocèse d’Alet, p.110
(2) – Ibid., p.110
(3) – FEDIE, Le comté de Razés et le diocèse d’Alet, 1880, p.143
(4) – VIC et VAISSETTE, Histoire générale du Languedoc, tome V, p.965
(5) – J.GUIRAUD, Histoire de l’inquisition, tome II, p.199
(6) – Ibid., p.119 et F.NIEL , Montségur. Temple et forteresse des cathares, p.237
(7) – J.GUIRAUD, op. cit., p.138
(8) – F.NIEL, op. cit., p.302
(9) – Fonds Doat ( XXII, 129, 259, 275, 278, 285)
(10)– LASSERRE, La ville d’Alet et son ancien diocèse, p.121
(11)- C.PONT, Histoire de la terre privilégiée anciennement connue sous le nom de Pays de Kercorb, Paris, Dumoulin, 1974, p.201
(12)– Ibid., p.362
(13)– L.BUZAIRIES, Histoire des châteaux de l’arrondissement de Limoux, 1867, p.194.
G .TISSEYRE , dans son Histoire du château de Puivert, 1981, affirme que la transaction eut lieu en 1593 (p.92)
(14)– J.LEMOINE, Histoire de la Bézole, p.238
(15)– Réédité aux Editions La colombe, en 1971
(16)– Cf. l’introduction de P.Mariel au précédent ouvrage, p.9
(17)– Cf. Par exemple : J.Lemoine, Histoire de la Bézoleop. cit., p ;238
(18)– Cf. l’article de Paris Match : « Dans la ferme hantée de Machorre, une enfant a vu deux fois le Diable », 2 février 1952
(19)– Archives de Maître Ruffié (D. 32)
(20)– Ibid., (D.32)
(21)– Ibid., (D.108)
(22)– Ibid., (D.46)
(23)- Histoire générale du Languedoc, op. cit., tome V, pp. 825, 927, 957, 980,…
(24)– Archives de Maître Ruffié, (D.100)
(25)– C’est ce que pense le Dr J. Lemoine. R. Descadeillas, Conservateur des archives de Carcassonne, pour sa part, le croit plus récent (lettres des 15 décembre 1980 et 31 mars 1981)
(26)– Lettre du 22 septembre 1980
(27)- Cf., par exemple, A.BAYROU, op. cit., p.110 et SABARTHES, Histoire du clergé de l’Aude de 1789 à 1803
(28)- Information transmise par R. Descadeillas.
(29)– Le patronage de saint Nicolas n’est pas fréquent dans la région. Rappelons, cependant, que l’abbé Montfaucon de Villars, né dans la vallée, s’appelait lui aussi Nicolas.
(30)–Voir l’analyse du site faite par G. Rancoule dans : Fédération historique du Languedoc méditerranéen et du Roussillon, XXXVIIe Congrès, Limoux, 1964-1965, pp. 13 à 21
(31)–Les fouilles dans cette église ainsi que dans l’enceinte du château sont, sans les autorisations requises, rigoureusement interdites.
(32)– Lettre de G. Rancoule du 3 octobre 1986 .